Dans les arcanes feutrés de la diplomatie régionale, la bataille pour les postes de commissaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) s’annonce autrement plus âpre que la succession à la présidence de l’institution. Le passage de témoin à la tête de la Commission, de l’Angolais Gilberto Veríssimo, au Burundais Ezéchiel Nibigira s’est fait sans surprise, conformément au principe de rotation alphabétique. Mais derrière cette transition paisible se joue une compétition décisive : l’attribution des cinq portefeuilles de commissaires. Et dans cette partie serrée, Yaoundé avance ses pions avec une détermination assumée.
Du 5 au 7 septembre derniers, à Malabo en Guinée Equatoriale, la première session de négociations a validé l’évaluation conduite par le cabinet Forvis Mazars, chargé du processus de sélection. Trois Camerounais figurent parmi les candidats retenus. Mais deux se distinguent : Jacob Kotcho Bongkwaha, en lice pour le portefeuille du Marché commun, des Affaires économiques, monétaires et financières, et Nelly Banaken Elel, qui vise celui de la Promotion du genre, du Développement humain et social. Reste que le règlement est sans ambiguïté : un seul poste par État membre.
Le Cameroun doit choisir et c’est au président Paul Biya que revient la charge de trancher. Mais l’équation paraît limpide. Parmi les cinq commissariats, celui du Marché commun concentre l’essentiel des enjeux. Neuf des quinze objectifs du Traité révisé de la CEEAC concernent directement l’intégration économique, monétaire et financière. C’est donc la pièce maîtresse de l’architecture communautaire. « À ce poste, le titulaire pilote l’intégration commerciale, la convergence macroéconomique, les mécanismes de coopération financière et l’éventuelle union monétaire », commente un diplomate impliqué. En clair, le détenteur de ce portefeuille occupe la plaque tournante des dynamiques régionales et dialogue directement avec les partenaires techniques et financiers internationaux.
Yaoundé semble bien conscient des enjeux. Troisième économie de la CEEAC derrière l’Angola et la RDC, il revendique depuis plusieurs années un rôle de puissance pivot : stabilité politique relative, ambition industrielle, diversification progressive de son économie. Sa Stratégie nationale de développement 2020–2030 (SND30) érige d’ailleurs l’intégration régionale en levier majeur de croissance. Accéder au commissariat du Marché commun, c’est donc offrir une résonance régionale à ses priorités nationales, tout en consolidant son image de moteur de l’Afrique centrale.
À 53 ans, son candidat, Jacob Kotcho Bongkwaha, coche toutes les cases. Docteur en économie, il occupe déjà la fonction de directeur du Marché commun à la CEEAC. Autrement dit, il connaît les dossiers de l’intérieur, leurs blocages comme leurs perspectives. L’évaluation de Mazars a d’ailleurs salué ce profil technocratique, lui attribuant le meilleur score de tous les 52 candidats retenus : 90,25 sur 100. Loin devant l’ancienne Première ministre de Sao Tomé-et-Principe, Maria do Carmo Silveira (85,1), l’Angolaise Oluimo Diai Tavira Da Silva (75), le Gabonais Nkegna Joel (66,25) ou encore le Centrafricain Sambia Christian (62) en lice pour le même strapontin.
Issu à l’origine de la société civile, ce spécialiste du commerce international s’est forgé une réputation à la fois académique et pratique. Enseignant la diplomatie économique dans plusieurs universités camerounaises, il a aussi accompagné son pays lors des négociations de l’Accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne et participé aux discussions autour de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Un parcours qui conforte son image d’homme de dossier, à la fois enraciné dans les réalités locales et crédible auprès des partenaires internationaux.
En attendant le verdict des prochaines semaines, Yaoundé tient toutes les cartes. La performance éclatante de Jacob Kotcho, sa maîtrise des arcanes communautaires et la centralité stratégique du portefeuille convoité constituent autant d’atouts susceptibles d’influer sur la décision finale d’Etoudi.
Pour Paul Biya, qui revendique depuis longtemps l’intégration régionale comme horizon stratégique, cette échéance constitue une occasion en or, à l’enjeu double. D’une part, il s’agit d’offrir au Cameroun une victoire diplomatique décisive, renforçant son poids et sa légitimité au sein de la CEEAC. D’autre part, il s’agit de mettre à contribution la compétence la mieux armée de l’organisation – Jacob Kotcho – au service de la communauté, afin d’insuffler une dynamique nouvelle à un processus d’intégration qui progresse encore très laborieusement dans la sous-région Afrique centrale.
Auréole TCHOUMI